Article sur les Pouilles dans le journal Saveur
(version numérique)
Les Pouilles : cuisine et terroir
Un charme à l’état brut
Depuis quelques années, cette région du sud de l’Italie, côté mer Adriatique, est très prisée. On y trouve le soleil, la mer et une cuisine de produits comme on en rêve au nord de la Loire.
Les pouilles, cuisine du sud de l’Italie
Là-bas tout commence toujours par un peu d’huile d’olive versée sur un morceau de pain.
À chaque fois que je me rends dans les pouilles – un terroir de l’extrême sud de l’Italie, je n’ai pas sitôt posé ma valise qu’une huile d’olive arrive dare-dare.
Dans le talon de la botte italienne, l’assiette est raccord avec le paysage : les oliviers sont partout. On en recense entre 50 et 70 millions.
Des légions d’arbres énormes, aux troncs sculptés, magnifiques et très imposants. « Certains ont plus de mille ans, ils ont vu passer les Croisades ».
La région des Pouilles, sa cuisine et son art de vivre
Installées sur sa terrasse, nous goûtons aux produits de Domenico et Rosana. « Quand ils ont su que nous venions, ils ont absolument tenu à vous proposer une dégustation. »
- des focaccia
- des petits peperoncini farcis au thon
- des artichauts au vinaigre et à l’huile
- des crostini qu’on appelle là-bas friselle
- du fromage – pecorino, provolone picante –
- des olives cuites au four…
« Mangia, mangia, ancora ». « Allora, è buono ? » Mais oui c’est bon. Comment pourrait-il en être autrement ?
Rendez-vous compte, des gens qui travaillent du matin au soir sur les marchés, avec des enfants encore jeunes, et qui trouvent le temps de faire quelques kilomètres en fin de journée pour vous faire découvrir le meilleur des Pouilles.
C’est une région aux habitants généreux qui ne comptent jamais les centimes en vous rendant la monnaie.
Un détail qui en dit long.
Tout comme la profusion de légumes sur le marché de Carovigno, notamment les pomodori di Pentola, de petites tomates cerise au goût aigre conservées sur leur branche. Elles sèchent ainsi jusqu’à l’hiver et servent à préparer des coulis de tomate toute l’année.
Une cuisine sobre mais généreuse : produits typiques
Dans le sud de l’Italie, le légume n’est pas une punition, ni un régime restrictif.
On est loin des carottes Vichy… Ils sont frits, en gratin, en ragoût, ils accompagnent la pasta.
Ils sont dans toutes les recettes et même à côté.
« Lorsqu’on sert un plat de pâtes dans les Pouilles, on pose toujours une assiette de crudités au milieu de la table », m’explique Rosana. Plus étonnant pour nos palais français, on marie volontiers les pâtes avec des pois chiches, des fèves, de la chicorée.
À l’extrême sud des Pouilles, la ville d’Otrante est d’ailleurs le point le plus à l’est de toute l’Italie.
Arrivés de Sicile au ixe siècle, les Sarrasins ont installé un émirat à Bari avant que les Byzantins ne fondent un royaume jusqu’à l’arrivée des Normands au xie siècle.
Tour à tour romaine, normande, byzantine, grecque, souabe, aragonaise, la région est une terre d’empreintes et ses saveurs sont polyglottes.
Ne goûte-t-on pas un peu de la Grèce dans les saveurs aigrelettes de la cacioricotta qui nous rappellent celles de la feta ?
Dans la province de Lecce, on parle d’ailleurs un dialecte hellénique, le griko, qui dit l’ancienne appartenance de la région à la Magna Graecia.
Les spécialités culinaires incontournables des Pouilles
En Italie, chaque région a sa forme de pâtes. Les orecchiette sont celles des Pouilles.
Elles sont toute petites et rappellent la forme d’un coquillage, mais il en existe de nombreuses autres comme les trascinati, les strascinate…
Très souvent faites maison avec de la farine de blé, un ingrédient essentiel dans la cuisine du sud. à Brindisi, on trouve une spécialité de fritte, un pain frit avec de la tomate et de la mozzarella.
La buratta (un genre de mozzarella, fromage à pâte filée, emplie de crème) est typique des Pouilles ainsi que la cacioricotta, un fromage au lait de brebis qu’on râpe sur les pâtes.
La star de la charcuterie locale est le capocollo de Martina Franca, une salaison réalisée avec la partie supérieure
du cou du cochon.
Une cuisine sous influences donc, mais qui n’oublie pas ses racines.
Ces dernières poussent dans une terre chaude, aride, bordée par deux mers, Ionienne et Adriatique.
Les poissons sont nombreux et se mangent très souvent crus. Sur le petit port de San Vito près dePolignano a Mare, Vito Sabatelli a ouvert avec son frère un restaurant attenant à leur poissonnerie.
On choisit l’animal, il découpe et on déguste face à la mer avec un verre de vin blanc ; 100 % crue, la formule ne trompe pas.
Ça passe ou ça casse. En l’occurrence, on trépasse… de bonheur ! Le bleu de la mer et du ciel, et ce poisson livré dans toute sa vérité.
Dans les Pouilles, les recettes sont souvent simples afin de garder les produits dans leur pureté originelle.
C’est d’ailleurs à cela que l’on reconnaît la puissance d’un terroir. La qualité y est telle que les cuisinières se donnent peu de mal. à la masseria Anticalama, nous avons eu une grande émotion avec… un radis.
Vous avez bien lu. Un radis rose, rond, qui enfermait comme un concentré de lui-même. Pas de sel, pas même une petite goutte d’huile d’olive, le soleil a suffi à développer le goût de ce légume.
Région des Pouilles : un patrimoine unique et baroque
Si les saveurs sont pures et droites, l’architecture développe une autre esthétique.
Comment cette terre pauvre, ces paysages rocailleux, cette végétation cernée par l’aridité et parsemée de pierres fendues sous les morsures du soleil, ont-ils pu donner naissance au baroque de Lecce ?
Car on vient dans les Pouilles autant pour se régaler que pour regarder. Sur la Piazza del Duomo, l’accumulation des circonvolutions, des courbes et des frises forment une dentelle de pierres.
Ce style si particulier et unique dans toute l’Italie est qualifié de « leccese ». à Alberrobello, on trouve un village entier de trulli aux toits coniques.
Ruelles blanches et petits escaliers peints à la chaux d’Ostuni… Autant de lieux très attirants où se rendent sans faillir les touristes.
Mais pour sentir – au sens propre comme au figuré – les Pouilles dans leur réalité quotidienne et toute fellinienne, il faut absolument visiter les rues étroites, démembrées, bordées de façades éventrées, de palais en décadence du borgo antico de Tarente.
Les jours de fêtes, les habitants se rendent à l’église en habits du dimanche. Toute l’année, le linge pend aux fenêtres et les enfants jouent un peu partout dans ce quartier oublié. Des odeurs de fritures et de pasta sillonnent les ruelles.
Dans les cafés, les hommes refont le monde pendant que la télé hurle, retransmettant des matchs de foot à un public endiablé.
On est loin des masseria chic, d’anciennes fermes restaurées et transformées en maisons d’hôte pour magazine de déco, qui font fureur dans la région. Chic ou popu, qu’importe, où que vous soyez, on vous servira toujours une petite coupelle d’huile d’olive à votre arrivée.